dimanche 6 avril 2014

L' IVOIRE en BD un article de Monik Akari du lundi 20 janvier 2014 sur Koffi Roger N'guessan dans la BD africaine

lundi 20 janvier 2014 


L’Ivoire en BD


 
L’Afrique à grands crus

L’Afrique écrit son histoire*… l’actuelle aussi, à coups de bulles et de vignettes. Les nouvelles générations de la bande dessinée (BD) la montent à cru, ne font pas de fioritures. Ce ne sont pas bouteilles à la mer. Avec « Séductions / Mille mystères d’Afrique », son volume recto-verso, N’Guessan Koffi Roger complète le palmarès des grands crus de Côte d’Ivoire.

La BD vit en Afrique, s’exile et s’édite au hasard de l’Europe et de petites maisons locales pionnières, se revendique d’auteurs originaires de ces deux continents. Si l’engouement est fort et universel, nous le devons à des auteurs qui n’hésitent pas à livrer de l’Afrique une image inattendue : la leur ; mais aussi à des compilations telles que ce Dictionnaire de la BD africaine francophone.

Les teintes de l’enfance…
N’Guessan Koffi Roger y figure, avec un nom déjà chargé d’un patrimoine spécifique ! D’ethnie Baoulé, le bédéiste a reçu le « prénom de Koffi, car je suis né un samedi, et celui de N’guessan que porte le troisième enfant consécutif du même sexe, issu d’une même mère ». Voilà donc une première clé pour découvrir l’univers « torride » annoncé par le titre de son double album.

La BD, l’Afrique et l’histoire
Le centenaire de la Grande Guerre (la « mondiale » de 1914-18 !),  occasion de ressortir les anciennes BD ou de sortir les nouvelles abordant le rapport entre les champs de bataille européens et les combattants tirés des colonies françaises, veut en finir avec ses remords ou ses relents racistes. Mais si la BD européenne cherche encore à exorciser ce pan peu reluisant de l’histoire, y compris la traite des Noirs et l’esclavage, le répertoire de la BD africaine ne peut s’y enfermer.

La BD africaine livre quelques sagas de ses ancêtres déportés, parmi ses « collections historiques » (Kimbangu au Congo). Elle introduit la BD littéraire, comme « Monsieur Georges » tirée de l’œuvre de Dumas à travers la conception proposée par l’Antillais Roland Monpierre. D’autres exemples sont florissants au travers d’œuvres issues de Centre Afrique, du Cameroun, du Maroc, de Tunisie, etc. : galeries de portraits, jeunes prodiges prometteurs, science-fiction, caricatures, chroniques satiriques sur la curée systématiquement manigancée par les mafieux de la finance internationale. Le passé sert à « secouer » certaines « oublieuses mémoires » et ne subsiste qu’en toile de fond ! La BD s’implique avant tout dans une démarche identitaire.

La BD africaine : déjà en dictionnaire !
Dans son article, La BD africaine, un siècle d’histoire, Christophe Cassiau-Haurie fait le point sur la BD africaine autochtone. Elle est peut-être méconnue, mais elle compte une communauté d’auteurs, de concepts et de visions, qui englobe la majeure partie du continent africain. Le 9ème art en Afrique, c’est toute une aventure qui a fait ses premières apparitions il y a exactement un siècle, dans sa conception moderne. Mais la BD pleinement africaine ne s’affirme qu’avec les indépendances ; c’est réellement depuis une dizaine d’années qu’elle explose, après des occultations sous régimes dictatoriaux.

C’est par le biais des réseaux internet qu’elle s’assied une notoriété, permettant un brassage d’informations, d’échanges, une reconnaissance professionnelle mutuelle, des contacts indispensables et des éventualités d’édition. Le continent est immense et les voies de circulation compliquées et aléatoires. « Invité à présenter mes planches** (une page de BD) dans le groupe « Bande Dessinée Africaine (sur fb) », en moins d’un mois, je recevais mon premier contact. », jubile N’Guessan Koffi Roger, édité par L’Harmattan.

C’est aussi par ce moyen que sont mis à contribution différents auteurs sur le même sujet. L’ouvrage Sommets d’Afrique constitue une réussite du genre :

Une vision de l’Afrique entre ciel et mythes
« Encordés derrière un même scénariste, sept dessinateurs africains partent à l'assaut des sommets que sont le Kilimandjaro (Tanzanie), le mont Cameroun, le Rif (Maroc), l'Emi Koussi (Tchad), l'Atakora (Togo) et le mont Hombori (Mali). Ces six histoires, étonnantes et drôles, s'attachent à donner une image plus verticale de ces pays, une invitation à s'élever vers les cimes. (En couleur). »
De même, constate N’guessan Koffi Roger, « les auteurs de BD sont de plus en plus nombreux en Côte d’Ivoire, mais bien entendu peu connus sur le plan international ». Si vous voulez vous en persuader, allez jeter un coup d’œil sur les photos de planches, de cartes et d’esquisses que présentent les bédéistes dans le groupe Bande Dessinée Africaine. Entre autres petites merveilles : des graphismes à couper le souffle ! Des harmonies de tons et de verbe poétique du Malien Massiré Tounkara

Concocter une BD  
Ce n’est pas tout ! La BD africaine répond à toutes sortes d’inspirations : elle peut être didactique, traiter des droits des enfants, aborde des problèmes de société comme la polygamie. Mais elle touche aussi à ce qui fait la richesse culturelle du continent : ses mythes, ses rites, la beauté de la vie au quotidien, ses rêves d’avenir. Tout ce qui se voit et se vit.


Tout comme le rêve d’Alpha Blondy (clip vidéo)
Koffi en appelle à tout ça ! Contemplatif dans l’âme, il savoure les atmosphères attachées aux gens et aux lieux. Peut-être est-ce de là que vient sa passion pour le crayonnage : fixer l’instant. C’est donc par le visuel qu’il commence sa BD car l’image condense l’histoire tout en n’étant pas rédigée textuellement : « Mon scénario s’inscrit en roughs** (esquisses), soit en story-board** (découpage en plans, d’une situation) »

« Mes histoires je les chope généralement à partir de récits transmis par des badauds, à un kiosque à café, au marché, autour d'un jeu de dame...ou entre collègues, en famille, au village... Partout où il y a plus d'une personne réunie, il y a des histoires extraordinaires, vraiment époustouflantes à écouter ; sans oublier les écrits chargés d'enseignement de certains auteurs africains... »
« En dehors de la BD trois livres m'ont profondément marqué: "Nations nègres et culture "de Cheikh Anta Diop," La puissance de la pensée positive" de Norman Vincent Peale, "Création artistique et création spirituelle" de Omraam Mikhael Aivanhov. »

Un trait, une pulpe…
A la sortie de son 1er album en juin 2013, Séductions/Mille mystères d’Afrique, Koffi n’a pas moins d’« une dizaine de projets sous la main… Avec des priorités comme finir d'abord ma prochaine BD de 66 pages ''L'enfer glacial", une histoire sur l'émigration clandestine et les imprudentes relations amoureuses sur les réseaux sociaux ! Ensuite créer une Edition de BD locale avec un groupe d'auteurs pour des publications régulières comme "GBICH" en Côte d'Ivoire et "KIN LABEL "au Congo. »

« Plusieurs histoires courtes dans le même registre sont encore dans mon tiroir ! La thématique des autres projets est très variée : outre "L'enfer glacial'', "Les nouveaux sorciers" évoque les dérives des nouvelles églises qui appauvrissent de plus en plus la population africaine ; "Konan la mort", un regard sur les méfaits de l'alcoolisme : trois histoires complètes sur une inspectrice atypique, "Akouba", face à des criminels dotés de pouvoirs surnaturels ; encore d'autres petites chroniques sur un personnage, "Wosran"  : il va parcourir plusieurs régions d'Afrique pour leur insuffler une certaine sagesse liée au développement ou à l' émergence ...Bref, une liste non exhaustive de projets !!! »  

Koffi : un style ?
Le double album « Séductions-Mille mystères d’Afrique » (cliquez sur l’aperçu, pour voir quelques planches) qui fonctionne sur une mise en page tête-bêche, « présente nos véritables préoccupations ; ‘’Séductions’’ porte sur des stratégies diamétralement opposées,  menées par deux filles pour conquérir un jeune médecin. C’est un regard sur le phénomène de la dépigmentation de la peau, de plus en plus prisé en Afrique noire... »

Mégapoles et magouilles…
« Concernant ‘’Mille mystères d’Afrique’’il s'agit de 12 histoires courtes. Ces "one shots"* (histoire complète à chaque fois) relatent des faits mystérieux qui font partie de nos quotidiens ! Ce sont des faits plus ou moins paranormaux chargés de leçons et d'émotion. »

Associé à un dialogue qui démarre de façon abrupte, sans qu’aucun cadeau ne soit fait entre les interlocuteurs quels qu’ils soient, le volume repose sur le malentendu sous toutes ses formes ; le prisme de l’exotisme face à la grimace des charmes et de la distorsion de son empire incontournable pourSéductions.

L’un des intérêts de cette BD, c’est que le propos  passe directement par le point de vue féminin : l’une des héroïnes est aussi la narratrice. En fait l’auteur s’efface derrière son duo de choc féminin. Est-ce pour cette raison que le rythme des séquences est rapide ? Pas le temps de tergiverser, dialogues et actions s’enchaînent à brûle-pourpoint.

Un style, un bédéiste (diaporama)
Quant au graphisme, compte-tenu du fait que la BD est éditée en noir et blanc : la colorisation en est absente. Mais le trait se suffit à lui-même pour distinguer les individualités Noires et Blanches. C’est que Koffi est un puriste : « Pour le teint des personnages, comme pour d’autres péripéties, le texte relaie ce qui n'est pas représenté et vice versa ! » De même, dans sa formation de graveur aux Beaux-Arts, il a « toujours été impressionné par les estampes de Rembrandt ! »

Un leitmotiv, l’Afrique
La BD, alors, une passion, une obsession, une maladie ? Ou un tremplin pour affirmer ses rêves, ses aspirations, qu’ils soient partagés ou entachés de ces dérives dues aux poncifs universels prégnants, aux séquelles d’une infériorité assénée par les leçons de l’histoire ? Koffi répond ainsi :

« Dans ce continent dont on dit tant de mal… mon inspiration part des valeurs, de ce qui fait notre richesse d’Africain : il est impérieux pour nous de revenir à notre façon d’entrevoir la vie et de nous positionner par rapport à elle. De retrouver son aspect radieux… »
« Les clichés, les jugements venus d’ailleurs, nous encombrent tellement, que certains en viennent à se renier, rejeter leur propre identité. Nous sommes conditionnés par une forme de désespérance qui nous vient d’ailleurs, du regard qu’on porte sur nous »

Une culture, ses attaches…
« Parmi les stéréotypes dont nous devons nous émanciper : les guerres, la pauvreté, la misère, les pandémies. Ce genre de faux-problèmes nous colle à la peau. » L’Afrique reste un terrain de racket international et ce sont les gros bonnets qui y investissent pour la démunir.

« A l'école primaire, je passais tout mon temps à dessiner au lieu d'étudier les différentes matières enseignées! ». Et si ses années collège à Bouake, ville du centre de la Côte d’Ivoire, ont été « sa première véritable galère (!), elles ont été sanctionnées par son orientation au Lycée d'enseignement artistique à Abidjan !

« Là mon rêve d'enfance commençait à prendre forme ! Des études artistiques ! Un grand moment dans ma vie ! »

Une priorité, l’enfance
L’enfance, ce n’est pas seulement celle qui jalonne son passé, mais celle qui s’offre devant lui, l’avenir. Ce n’est pas pour rien qu’il s’accorde avec les chansons d’Alpha Blondy.

Un « maquis » à Vridi
Dans cette sorte d’extension-bidonville illégale où il a passé son enfance,  « Vridi Canal, quartier pauvre (constructions précaires) en zone industrielle d'Abidjan ! » Ne comptent que : « la lagune et la mer! un petit paradis pour moi, celui qui seul peut combler l’enfance… »

« A travers mon graphisme, je mets en exergue cet aspect magnifique et paradisiaque de l'Afrique malheureusement si peu connu dans le monde ! Sans toutefois ignorer nos belles femmes aux rondeurs époustouflantes qui sont pour moi, sources d'inépuisables inspirations dans mes créations ! »

Sujet inépuisable, c’est à l’école  des maîtres de l’iconographie, qu’il éprouve le besoin de l’immortaliser : « Avec l’option atelier de gravure je me perfectionnais en illustration, à l’instar des anciens mais aussi en éprouvant des expériences plus modernes… Avec nos maitres et bien d’autres venus de France dont Gosselin, jeune peintre français qui nous a enseigné la gravure sur bois à partir d'une seule planche ; Patrick Devreux professeur aux Beaux-Arts de Paris pour les cours en lithographie ! Puis j’ai approfondi avec un maître de la BD ivoirienne, Gilbert Groud.

…et l’aventure continue…
Professeur d'arts plastiques au collège municipal de Grand-Bereby (2001-2007), ville situé au sud-ouest à plus de 450km d'Abidjan, c’est dans une commune presque rurale  mais nantie d'un environnement paradisiaque qu’il nourrit son art. « Une source inépuisable ; un sacré bonheur pour tout artiste en quête d'inspiration ! »

« Là-bas pas un jour sans dessiner ! Des planches de BD, des illustrations de paysage au stylo à bille, à l'encre ! J'y retourne encore : un véritable paradis sur terre, source d'inspiration pour tout artiste !!!! »


La réalité est virtuelle
Ce n’est que la formulation du rêve, son accomplissement, que propose la BD de Koffi… avec toutes ses plages d’inconnu, d’énigme et  d’inachevé. En fait, on s’aperçoit que la nouvelle forme de la BD passe par le net : elle peut être éditée directement en PDF à télécharger. Ce qui permet une circulation accrue des productions et donc une évolution plus rapide des contenus. 

Fantasmes et fascination…
La BD, comme le souhaite et le réalise Koffi agit sur le réel : en bousculant les mentalités…

« La force de l'humain est sa capacité d'accomplir résolument ses rêves en dépit de toutes les entraves propres à la société ! ». Il s’y confronte tous les jours, Koffi !

Et il s’acharne à le déclarer en toute modestie : « au moment on moment où tout le monde pense que c'est impossible, un petit idiot pense le contraire et il le fait parce qu'il ignore que c'est impossible ! »


Un article de  Monak

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